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Toutes les actualitésInterview avec Mohamed Abdel Vetah - Haut-Commissaire de l’OMVS
Nommé en novembre 2022 à la tête de l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS), le Mauritanien Mohamed Abdel Vetah, ancien ministre du Pétrole, des Mines et de l’Energie de la République islamique de Mauritanie et docteur en informatique, succède au Malien Hamed Diane Séméga. Le 8e Haut-Commissaire de l’OMVS s’est entretenu avec nous de l’événement dédié au Massif du Fouta Djallon organisé à la Conférence sur l’eau qui s’est déroulée à New York en mars, des priorités actuelles de l’OMVS et d’IAGF, qu’il a rejoint en tant que membre en novembre dernier.
Quel était l’objectif de l’événement portant sur la sauvegarde du massif montagneux du Fouta Djallon proposé par l’OMVS, IAGF et The Bridge Tank et organisé parallèlement à la Conférence sur l’eau à New York en mars ?
Le Massif du Fouta Djallon, basé en Guinée, abrite la source de tous les cours d’eau en Afrique de l’ouest. Il est communément appelé le « château d’eau de l’Afrique occidentale ». Son importance est donc stratégique, mais son écosystème est fragile : il a subi des décennies d’oppression qui ont eu pour effet une grande dégradation, surtout au niveau des têtes de source. En tant qu’organisme de bassin, nous souhaitons engager des actions pour inverser ce processus de dégradation et permettre à ce massif de nourrir tous ces grands fleuves.
Depuis plus de 15 ans, l’OMVS a lancé des programmes d’information et de sensibilisation des populations locales et a mis en œuvre des activités d’agroforesterie, de protection des têtes de source et de conservation des eaux et des sols. Cependant, ces actions sont insuffisantes. Notre objectif est de mobiliser le plus d’acteurs possible au sein de la communauté internationale. C’est dans ce cadre qu’a eu lieu la convergence avec IAGF. La Conférence sur l’eau des Nations Unies à New York a été une magnifique opportunité de porter ce plaidoyer à l’international, avec l’aide de la France, de la Guinée, où se trouve le Massif, et d’IAGF et son président Erik Orsenna mais aussi de leur partenaire « The Bridge Tank » et de l’Agence Française de développement.
« Le simple fait d’avoir pu proposer un événement sur le massif du Fouta Djallon au siège des Nations Unies, parallèlement à la Conférence sur l’eau, constitue déjà une première réussite.»
L’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) vient de fêter ses 51 ans. Quelles sont votre vision et vos priorités pour vos quatre ans de mandat en tant que Haut-Commissaire de l’OMVS ?
Nous avons en effet fêté notre 51e anniversaire le 11 mars dernier. L’OMVS a été couronnée de beaucoup de succès, sur le plan énergétique notamment : l’énergie au Mali, au Sénégal et en Mauritanie vient en partie des barrages construits avec le soutien de l’organisation. L’eau potable consommée à Nouakchott vient du fleuve, 60 % de l’eau consommée à Dakar aussi. Des centaines de milliers d’hectares irrigables contribuent à la souveraineté alimentaire de nos pays. Nous pouvons être fiers du bilan des actions accomplies par l’OMVS.
Cependant, aujourd’hui, nous faisons face à de vrais défis. Nous avons des difficultés à mobiliser les financements permettant de continuer à réaliser nos projets. Il faut que nous puissions continuer la mobilisation des ressources, avec des conditions acceptables pour nos Etats, afin de permettre la réalisation de nos grands ouvrages : les barrages, la navigation, le plan d’investissement climat. C’est un premier défi.
« Ma priorité consistera à mettre en place une stratégie de mobilisation des financements qui soit globale et cohérente.»
Le deuxième défi porte sur le changement climatique. Le monde entier y fait face mais cet impact est encore plus prononcé dans le cadre d’un organisme de bassin comme le nôtre. Nos barrages hydroélectriques sont directement impactés par les quantités de pluie qui tombent, qu’elles soient en nombre ou pas. L’agriculture pâtit des inondations comme des sécheresses. Il ne faut pas oublier l’impact sur la vie des citoyens : récemment, des inondations ont fait des centaines de morts au bord du fleuve Sénégal. Notre priorité sera donc de rendre notre organisation résiliente face à ces phénomènes de changement climatique.
« Le défi qui consiste à faire face au changement climatique est particulièrement critique pour un organisme de bassin comme l’OMVS.»
Par ailleurs, et cette question est liée aux financements, je trouve que notre organisation est encore peu connue. Il faut quand même imaginer qu’il y a 51 ans, en Afrique de l’Ouest, des chefs d’Etats ont décidé de céder leur souveraineté sur tout ce qui se passe sur le fleuve Sénégal, en prônant la voix du consensus collectif. A ce cadre juridique posé initialement se sont succédées des réalisations mises en œuvre ces 51 dernières années. Et l’organisation continue à être dynamique : la dernière inauguration d’un barrage hydroélectrique ne date pas d’il y a dix ans, elle a eu lieu en décembre dernier au barrage de Gouina, au Mali. Quand on sait qu’un modèle a été établi et qu’il fonctionne depuis plus de 50 ans, cela mérite d’être partagé. Nous devons mieux porter la voix de cette organisation à la gouvernance si particulière.
« Il faut que notre success story continue à être médiatisée afin de nous permettre de continuer à travailler mais aussi d’inspirer d’autres populations.»
Justement, comment se fait-il que l’OMVS ne soit pas mieux connu ?
Les experts du secteur en parlent mais pas les médias généralistes, même dans nos propres pays. Il y a un effort de communication à fournir, notamment auprès des jeunes. Nous allons d’ailleurs lancer cette année un programme destiné aux jeunes et aux startups dans chacun des pays de l’organisation. Il consiste en un challenge autour des thématiques de l’eau, de l’électricité, de l’agriculture et de l’environnement. Nous primerons les porteurs des projets les plus novateurs de chaque pays lors d’un dîner organisé à Dakar.
Quels sont les enjeux de la candidature de l’OMVS au prix Nobel de la paix ?
Il ne s’agit pas d’une candidature à proprement parler : des personnalités éminentes comme Erik Orsenna et de prestigieuses institutions comme IAGF et le RIOB (Réseau International pour les Organismes de Bassin) proposent que le prix Nobel de la paix soit attribué à l’OMVS car notre organisme démontre depuis 51 ans que l’eau peut être un vecteur de paix et contribuer au développement économique local. Les principes d’organisation de l’OMVS garantissent une utilisation équitable et durable de cette ressource partagée. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons à gagner à être connus, mais je crois aussi que le monde a à gagner à ce que nous soyons connus. Il est question d’hydrodiplomatie actuellement : l’OMVS en fait la démonstration.
« Distinguer l’OMVS par ce prix serait un encouragement pour tous les organismes de bassin et tous les instruments de coopération.»
Sur une note plus légère, comment avez-vous vécu vos premiers mois au sein d’IAGF ?
J’ai assisté à une réunion des membres internationaux d’IAGF à Lyon, au mois d’octobre, quelques temps avant ma prise de fonction, sur l’invitation de mon prédécesseur, Hamed Diane Séméga. Je profite d’ailleurs de cet entretien pour rendre hommage au travail extraordinaire qu’il a effectué pendant son mandat. J’ai été surpris par la rapidité avec laquelle ce que je considère comme une grande famille m’a intégré. La véritable singularité d’IAGF réside dans la multitude de personnes d’horizons variés et sa force dans leur engagement pour la cause des fleuves.
C’est lors de cette réunion des membres en octobre que nous avons commencé à parler de notre intervention sur le Massif du Fouta Djallon Ensuite chacun s’est mobilisé à son niveau pour rendre cela possible.
« Je considère qu’avoir une organisation aussi singulière qu’IAGF et une personnalité aussi dynamique qu’Erik Orsenna à nos côtés constitue une chance pour l’OMVS. A nous de l’exploiter !»
LE MASSIF DU FOUTA DJALLON EN QUELQUES CHIFFRES :
* 80 000 km2 : sa superficie (soit près d’1/3 de la Guinée, où il est basé)
* 6 : le nombre de fleuves d’Afrique occidentale qui y prennent leur source, c’est le cas du
Tinkisso (affluent du Niger), du Sénégal, de la Gambie, du Koliba, du Kogon et du Konkouré
*: 1 000 m : son altitude moyenne
* 300 millions : c’est le nombre de personnes qui dépendent directement de la survie du Massif du Fouta Djallon.