Le Mississippi
Entre vous et moi…
Après l’Amazonie et le Congo, et en comptant mes affluents, je suis le troisième plus grand fleuve du monde, si l’on y ajoute le Missouri, mon grand affluent. Mon nom signifie « le père des eaux » en amérindien, mais on me connait surtout sous celui de Mississippi. Je prends ma source dans le lac Itasca situé au Minnesota, dans le nord des États-Unis. Mon bassin versant couvre 41 % du pays dans sa partie centrale avant de rejoindre la Nouvelle-Orléans à l’extrême sud pour me jeter dans le Golfe du Mexique. Une goutte de pluie tombant dans le lac Itasca met environ 90 jours à rejoindre mon delta !
Je suis la fierté et l’âme de mon pays. Je fais partie intégrante de la culture américaine et de l’imaginaire collectif, avec mes bateaux à aubes (grandes roues qui servent à leur propulsion) et les chercheurs d’or. Mais aussi celles, moins belles, des esclaves contraints de travailler dans les plantations de coton pendant plus d’un siècle, jusqu’à la guerre de Sécession en 1865.
Je suis aujourd’hui une artère essentielle de l’économie américaine, avec notamment l’irrigation des cultures céréalières, la fourniture en eau des villes et des industries, des ports parmi les plus actifs du monde comme ceux de la Nouvelle-Orléans et de Louisiane du Sud. Le revers de la médaille : une utilisation pas toujours raisonnée de mes eaux qui pâtissent de la pollution et d’une surconsommation, alors que les impacts du changement climatique modifient profondément mon écosystème.
Un peu d’histoire
Aux 18ème et 19ème siècles, une agriculture florissante se développe dans ma plaine alluviale tandis que la Nouvelle-Orléans rayonne pour le commerce international. Mais les territoires restent toujours soumis à des inondations régulières qui freinent le développement économique.
Des premiers grands travaux sont entrepris vers 1875 pour limiter les inondations, favoriser la navigation et lutter contre l’érosion de mes berges. C’est surtout après les fortes crues de 1927 et 1933 qu’ils s’accélèrent en vue de l’aménagement de 37 barrages et écluses.
Fiche technique
- Source : lac Itasca (Etat du Minnesota)
- Embouchure : Golfe du Mexique, avec un delta de 75 000 km2 en Louisiane
- Débit moyen : 17 545 m3/s (embouchure)
- Longueur cumulée : 3 780 km
- Bassin versant : 3 238 000 km²
- Pays traversé : États-Unis
- Principaux affluents : Ohio (rive gauche), Missouri, Arkansas, Rouge du Nord et White River (rive droite)
Mes multiples usages
Agriculture : 200 ans d’intense activité
Pendant près de deux siècles, l’agriculture a constitué la principale activité humaine sur les terres de mon bassin. La production agricole couvre aujourd’hui 71 % de la source de mon bassin et l’importante industrie agroalimentaire qui s’y est développée produit 92 % des exports agricoles du pays et fournit la majorité du bétail et des porcs du pays.
Dans la région inférieure de mon bassin (de Saint-Louis à la Nouvelle-Orléans), le secteur agricole est le troisième contributeur économique régional, avec des activités motrices comme la production céréalière, l’élevage et l’aquaculture. Après l’industrie, l’agriculture intensive irriguée est le deuxième secteur le plus consommateur d’eau. Lors des inondations dramatiques de 2011, les pertes agricoles dans cette région ont été estimées à 660 millions de dollars !
Villes et industrie : d’importants besoins en eau
Je suis aussi utile à la vie quotidienne des populations et des nombreuses industries présentes sur mon bassin. Plus de 50 villes et 18 millions de personnes dépendraient ainsi de moi ou de mes affluents.
Mes eaux sont principalement utilisées pour le fonctionnement des nombreuses centrales à énergies fossiles, biomasses ou nucléaires. Les industries du papier, du raffinage, de la chimie, de l’agroalimentaire, de la transformation du pétrole et des transports, sont également dépendantes de mon système hydrologique. Cette surexploitation humaine et industrielle engendre des pénuries d’eau de plus en plus fréquentes, particulièrement dans le sud-est et dans les régions de l’Arkansas, du Tennessee et du bas Mississippi.
Navigation : 500 millions de tonnes de marchandises !
10 % des marchandises des États-Unis transitent par moi et 60 % des exportations de céréales sont transportées sur mes eaux via les ports de la Nouvelle-Orléans et de la Louisiane du sud. Il y a aussi le transport de produits pétroliers, le fer et l’acier, le bois, le café, les produits chimiques et les huiles alimentaires. Soit au total, près de 500 millions de tonnes de marchandises chaque année !
Production hydroélectrique : un usage faible
On m’a avant tout exploité pour le transport, contrairement à mon cousin le Tennessee aménagé dès les années 1930 autour de trois objectifs :
- La navigation
- L’irrigation
- La production d’électricité
Pourtant, je représente un potentiel d’énergie hydroélectrique. Dans ces régions où l’énergie vient en priorité du charbon, du pétrole et du gaz naturel, le développement des énergies renouvelables est une véritable opportunité et des sociétés privées se sont déjà positionnées. Reste à donner l’impulsion politique !
Une nouvelle économie touristique
Avec les activités industrielles et touristiques, je permets à moi seul de générer 1,5 million d’emplois. Le secteur de l’industrie est de loin le plus important puisqu’il est responsable du tiers des emplois de la vallée. Mais certaines vieilles villes industrielles sont sur le déclin. Heureusement le tourisme explose, avec le développement des croisières.
Une nouvelle source de revenus qui incite les communes situées le long de mes rives à prendre soin de tous les espaces naturels alentours. Ces forêts, zones humides, marais et autres espaces naturels, poumons de biodiversité, protègent aussi les villes contre les inondations et retiennent l’eau pendant les périodes de sécheresse.
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des exportations agricoles américaines sont issues du bassin du Mississippi
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villes comptent sur le Mississippi pour leur fourniture d'eau quotidienne
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espèces de poissons recensées
Quel fleuve pour demain ?
La Mississipi river commission (MRC), commission fédérale chargée de l’aménagement et de la surveillance du Mississipi, identifie trois enjeux principaux pour mon avenir :
- l’adaptation à la concurrence de voies d’eau fluviales navigables,
- l’identification de solutions pour les inondations,
- le développement et la mise en œuvre de programmes respectant l’environnement tout en reconnaissant les réalités économiques des besoins vitaux des populations.
On peut ajouter deux autres défis majeurs qui interrogent l’ensemble du modèle américain de développement :
Pollution : tout un écosystème à protéger
Avec 650 000 km² de marécages, je forme le plus grand système continu de zones humides sur le continent nord-américain. La Haute plaine inondable du Mississippi est la plus grande réserve de faune nationale dans le Midwest. Je compte au moins 260 espèces de poissons et je sers aussi de couloir de migration pour de nombreux oiseaux.
La pollution de mes eaux est cependant une préoccupation majeure. Les coupables : le phosphore et l’azote contenus dans les engrais et les eaux usées issues des productions agricoles et industrielles de la région. Ils empêchent la croissance des plantes et aggravent l’érosion des sols et les inondations.
Des mesures de protection de la région, notamment de restauration de mon delta et de protection de la Nouvelle-Orléans, ont été prises pour protéger les écosystèmes, établir une gestion écologique des ouvrages et éduquer les communautés locales. Mais est-ce suffisant ?
« Zone morte » dans le Golfe du Mexique
Dans le Golfe du Mexique, une zone de 22 000 km², déficitaire en oxygène dissous (quantité d’oxygène en solution dans l’eau nécessaire à la respiration végétale et animale), provoque l’asphyxie des poissons et de toute forme de vie aquatique. Les chercheurs l’ont appelée « zone morte ». Ce sont les pêcheurs qui ont donné l’alerte, inquiets de la faible quantité de poissons et fruits de mer pêchés. En cause : l’élévation de la température de l’eau mais aussi l’agriculture intensive, avec l’utilisation de pesticides et fertilisants qui s’écoulent dans le fleuve, lui-même se déversant dans le Golfe. Des initiatives, notamment de barrages filtrants, sont menées pour limiter que la zone s’étende, à défaut de la réduire.
L’inéluctable montée des eaux
En Louisiane, entre terres et eau, les bayous disparaissent. L’alerte est au niveau rouge. La situation évolue en effet très rapidement, sous l’effet de l’élévation du niveau des mers, de l’érosion côtière mais aussi des infrastructures construites par les hommes : la côte perd jusqu’à 41 km2 de terres chaque année, le bleu remplace le vert.
Les États-Unis figurent à la 11ème place des pays les plus exposés à la montée des eaux ; 18 millions d’américains vivent aujourd’hui dans une zone à risque, soit 6% de la population. Et la côte du Golfe du Mexique a subi 9 des 10 ouragans les plus ravageurs enregistrés dans le pays depuis 170 ans, la plupart durant la dernière décennie…