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Toutes les actualitésLibérer le lit de la Loire de son corset d’épis pour un fleuve plus vivant
Début septembre, des travaux d’envergure sous la maîtrise d’ouvrage de VNF ont été lancés sur un tronçon du plus grand fleuve français, en amont de Nantes. Ils visent à réduire et abaisser 23 épis de navigation, ces longues digues basses de pierre en travers du fleuve installées sur le cours d’eau au 19e siècle. L’objectif : rééquilibrer le lit du fleuve, qui s’est beaucoup enfoncé depuis un siècle, et contribuer à un fonctionnement plus naturel.
Un fleuve vivant dans un espace construit
Si la Loire est bien moins aménagée et artificialisée que les autres grands fleuves français, ce qui lui octroie le qualificatif de “dernier grand fleuve sauvage d’Europe”, il n’en demeure pas moins que son appropriation par les Hommes est ancienne et impactante. Dès le Moyen-Age, le fleuve connaît de premiers endiguements. Les siècles qui suivront verront la Loire toujours plus modelée pour l’exploiter, s’en protéger ou encore la traverser, avec la construction de canaux et d’ouvrages de navigation. L’apogée du trafic fluvial se situe au 18e siècle avec 4 à 5 000 bateaux naviguant chaque année. Pour faciliter leur circulation dans ce fleuve connu pour ses crues mais aussi ses bancs de sable, les ingénieurs avaient imaginé des digues basses construites en travers du cours d’eau et figeant le lit pour créer un chenal de navigation profond et praticable à toute saison. Le large lit principal, autrefois libre et divaguant, se retrouve corseté par plus de 750 épis construits entre Angers et Nantes. Au début du 20e siècle, les bateaux peuvent alors remonter le cours du fleuve jusqu’à 150 km de l’estuaire. L’intervention humaine ne s’arrête pas à cela : au cours des 19e et 20e siècles, les dragages se succèdent pour extraire massivement du sable nécessaire aux constructions, faciliter l’irrigation des terres agricoles et favoriser la navigation.
Malgré les aménagements réalisés, la Loire n’a toutefois jamais été aisée à naviguer. Ainsi, l’arrivée du train puis le développement routier suppriment progressivement l’intérêt économique de la navigation fluviale sur la Loire à partir du milieu du 19e siècle. Les usages agricoles changent également. L’Homme n’intervient plus que pour se protéger des crues et assurer un niveau d’eau suffisant pour refroidir les centrales nucléaires.
Un changement de paradigme
Dans les années 1980, un nouveau projet d’aménagement de la Loire est vivement contesté par la société civile qui constitue alors le collectif SOS Loire Vivante : il prévoyait la construction de plusieurs barrages destinés en particulier à limiter les inondations et à relever les étiages.
A la faveur de ce conflit et de l’abandon du projet, une nouvelle vision politique émerge pour la gestion du bassin de la Loire : une gestion douce, ménagée, du cours d’eau et non aménagée qui fixe un nouveau cadre dans lequel les activités humaines viennent s’ajuster aux exigences de l’environnement, et non l’inverse (cf article scientifique de Sylvain Rode : De l’aménagement au ménagement des cours d’eau : le bassin de la Loire, miroir de l’évolution des rapports entre aménagement fluvial et environnement, 2010).
Car le fleuve souffre : son lit s’est érodé, ses milieux aquatiques ont perdu en diversité, ses sédiments sont bloqués. Les extractions de sable sont dès lors interdites et le Plan Loire Grandeur Nature lancé en 1994 par l’Etat prévoit un programme global sur 10 ans pour concilier sécurité des personnes et des biens, protection de l’environnement et développement économique. Il comprend l’abandon des grands projets de barrages, la restauration du lit, le démantèlement de deux barrages et la restauration des milieux naturels.
Sur la Loire aval, suite à la mobilisation des acteurs du territoire, une réflexion sur le rééquilibrage du fleuve émerge dans les années 1990. Plusieurs expertises et travaux expérimentaux sont menés : opérations de dé-végétalisation, remodelage des épis, création de seuils expérimentaux mis en œuvre pendant les 3 premiers Plan Loire, entre 1995 et 2017. Ils aboutiront à construire, avec les acteurs du territoire, une stratégie d’action partagée pour rééquilibrer le lit de la Loire.
Inventer un aménagement équilibré du fleuve
En 2013, l’Etat, l’Agence de l’eau Loire-Bretagne et la Région des Pays de la Loire confient à Voies navigables de France (VNF) la maitrise d’ouvrage opérationnelle de la première phase du programme de rééquilibrage du lit de la Loire. Opérateur fluvial national, VNF, parallèlement à ses missions de développement du transport fluvial et d’aménagement du territoire, porte en effet la responsabilité de la gestion hydraulique de son infrastructure au-delà de la garantie de sa navigabilité.
VNF lance la réalisation de plus de 6,5 millions d’euros d’études permettant de traduire les objectifs stratégiques en actions opérationnelles. Ces études sont notamment basées sur des modélisations hydrosédimentaires numériques au sommet de l’état de l’art, ainsi qu’une modélisation physique 1/100e réalisée pour le compte de VNF par CNR dans son Centre d’analyse comportementale des ouvrages hydrauliques (CACOH). Ce modèle unique, de 35 m de longueur a permis d’analyser le déplacement du sable et d’évaluer l’efficacité d’un nouvel ouvrage « de transition » pour relever le niveau d’eau en période d’étiage. Reproduisant un linéaire de 3,5 km et complété d’un modèle numérique, il a permis de projeter l’évolution naturelle des sédiments sur 15 ans, une minute d’essai en laboratoire équivalent à 24 heures dans la nature !
Les travaux engagés, structurants pour la morphologie du fleuve, répondent à deux principaux objectifs :
- Abaisser, réduire ou supprimer des épis de navigation afin de redonner de la liberté au fleuve et reconnecter ses bras secondaires. Sur les deux secteurs d’intervention, 140 000 m3 d’enrochements au total vont être retirés du lit et les sédiments libérés pourront alors se déposer là où le lit s’est trop creusé.
- Aménager une zone de transition en amont de Nantes afin de favoriser le dépôt de sédiments et rehausser le niveau d’eau.
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Le lit du fleuve s’est en effet enfoncé de 1 à 4 mètres en période d’étiage, selon les secteurs. Ces ouvrages ont en fait eu trois conséquences, comme l’explique Séverine Gagnol, cheffe de l’unité territoriale Loire Aval chez Voies Navigables de France : « Tout d’abord, le lit s’est creusé du fait de l’accélération du courant et du blocage du sable et des sédiments par les épis. Ensuite, les bras latéraux se sont asséchés. Enfin, les marées ont pu remonter plus loin dans le fleuve, salinisant des milieux d’eau douce. »
En enlevant les épis, les sédiments vont rejoindre le cours central et reformer les îlots mobiles qui existaient avant les aménagements. Le fleuve perdra en profondeur et son courant charriant de nouveau des sédiments à la vitesse de 1 à 4 kilomètres par an se ralentira. Conséquence : le fond devrait remonter d’un mètre. Surtout, le fleuve sera reconnecté quasi en permanence à ses bras secondaires. Actuellement, cela n’est le cas que 30 à 50 % du temps et, si rien n’est fait, cette tendance pourrait être encore réduite de 10 à 30 % avec le changement climatique. En 2050, le débit pourrait être en effet divisé de moitié.
Permettre de retrouver un fonctionnement dynamique dans les bras secondaires sera propice notamment aux populations de poissons comme le brochet, la lamproie ou l’anguille. Cela permettra également de mieux contenir l’envahissement d’espèces exotiques comme la Jussie.
Trois secteurs d’intervention sur 80 km entre Les Ponts de Cé (Maine et Loire) et Nantes (Loire-Atlantique) sont identifiés. Ces travaux doivent durer jusqu’en 2025 et représentent un investissement de plus de 41 millions d’euros (hors études)*.
Le démarrage des travaux en septembre dernier correspond à la première phase de travaux. Suite à des pluies importantes sur le bassin de la Loire fin septembre, ceux-ci ont dû être suspendus. En effet, pour pouvoir accéder aux épis de navigation avec les engins de chantier, ces travaux doivent être réalisés à l’étiage, lorsque les niveaux de la Loire sont les plus bas (inférieurs à 350 m3/s). Ils reprendront donc en septembre 2022 en parallèle de la deuxième phase des travaux.
Si revenir à un fleuve sauvage est une utopie, ce vaste et ambitieux programme de travaux permettra à la Loire, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, de retrouver un fonctionnement plus naturel.
* financé par l’Agence de l’eau Loire Bretagne (45 %), la Région Pays-de-la-Loire (30 %), le Fonds européen de développement régional Bassin de la Loire – FEDER Loire (20 %) et Voies Navigables de France (5 %)