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Toutes les actualitésAgriculture de Conservation des Sols et usages de l’eau : François Mandin, agriculteur en Vendée, témoigne.
François Mandin, 59 ans, agriculteur à Luçon, en Vendée, où sa famille gère une ferme agricole depuis quatre générations, est aussi le président de l’APAD, l’Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable . En cet été le plus chaud jamais enregistré, nous avons souhaité l’interviewer sur les sujets de l’eau et de l’agriculture : la dépendance de l’une sur l’autre, les défis liés au dérèglement climatique et la façon dont l’Agriculture de Conservation des Sols peut y répondre. Il nous a aussi parlé de son fleuve, celui qu’il porte en lui et le relie… à la terre !
Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Nous sommes quatre associés, dont mon fils, à la tête d’une exploitation de 400 hectares à Luçon, en Vendée. Nous y pratiquons la polyculture (céréales et oléagineux) et l’élevage de vaches de race limousine dans le Marais poitevin. Dans les années 1990, face aux pressions sur les ressources, aux nouvelles contraintes environnementales (irrigation, fertilisation, etc.) et à l’augmentation des coûts de production, mes associés et moi-même avons décidé de changer de système de production. Nous voulions également être en phase avec l’évolution sociétale. Nous nous sommes lancés dans l’Agriculture de Conservation des Sols, nous faisions partie des pionniers.
Nous avons rapidement ressenti le besoin d’apprendre et d’échanger avec d’autres agriculteurs. Nous avons donc créé une association régionale et nous sommes affiliés à l’Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable (APAD) il y a 12 ans. J’ai commencé par être président de l’APAD Centre-Atlantique pendant six ans puis je suis devenu membre du Conseil d’administration de l’APAD nationale. J’occupe le poste de président de l’association nationale depuis cinq ans.
Quelle est la mission de l’Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable (APAD) ?
L’APAD a été créée en 1998, à l’initiative d’agriculteurs pionniers engagés dans une démarche d’agriculture durable. Elle est composée d’un réseau de 1 000 agriculteurs réunis en 15 associations régionales. Sa mission consiste à promouvoir et développer l’Agriculture de Conservation des Sols (ACS), qui est une agriculture encore méconnue en Europe mais très prometteuse pour allier production agricole et protection de l’environnement. Nous employons dix salariés et sommes devenus organisme de formation en 2017, certifié Qualiopi-Qualicert : nous accompagnons les agriculteurs dans leur transition agricole, c’est le cœur de notre action.
L’Agriculture de Conservation des Sols consiste en un changement à part entière de modèle agricole.
Nous travaillons aussi à la reconnaissance de l’ACS auprès des décideurs publics au niveau local, national et international, et sensibilisons le grand public à ce sujet. Nous participons au Salon de l’Agriculture tous les ans, par exemple, et intervenons dans les écoles grâce à nos supports pédagogiques. Enfin, nous souhaitons valoriser les agriculteurs qui pratiquent cette méthode, les produits qui en sont issus et les bénéfices environnementaux et socio-économiques apportés par l’ACS. Nous avons pour ce faire créé le label « Au cœur des sols » en 2020.
En quoi l’Agriculture de Conservation des Sols consiste-t-elle ?
L’Agriculture de Conservation des Sols est un système de production agricole qui repose sur trois principes agronomiques permettant de préserver la production agricole et de réduire l’impact de l’agriculture sur son milieu :
- la couverture permanente des sols (avec des résidus de culture et des couverts végétaux) pour le préserver : notre objectif est de ne jamais laisser les sols nus, même pendant la période d’interculture ;
- l’abandon du travail du sol (pas de labour ni même de travail superficiel du sol) : le travail du sol le déstructure et crée l’érosion, il faut le limiter pour que le sol reste couvert et protégé ;
- l’allongement des rotations et la diversité des espèces cultivées: le but est de réduire les risques parasitaires, en variant le plus possible les types de cultures et de couverts. Comme les humains, le sol a besoin de manger varié et équilibré pour être en bonne santé
L’Agriculture de Conservation des Sols imite ce que fait la nature, qui a horreur du vide !
La nature a horreur du vide : laisser des champs nus pendant l’hiver, soumis aux aléas climatiques, est une aberration. Pourtant c’est ce qui est beaucoup pratiqué, avec l’idée qu’il faut laisser le sol se reposer pendant l’hiver et empêcher la repousse des mauvaises herbes.
En ACS, on va au contraire chercher à ne jamais laisser le sol nu et on va, dès la récolte passée, semer un couvert végétal pour couvrir le sol et le protéger (des aléas, des mauvaises herbes). Ensuite, on viendra semer nos cultures suivantes sans labour ni travail superficiel du sol. On choisit par contre nos couverts végétaux pour qu’ils produisent le plus de biomasse possible et fasse ainsi concurrence aux mauvaises herbes.
Nous utilisons tous les outils à notre disposition, y compris les produits phytosanitaires : c’est la vraie différence avec l’Agriculture Biologique (AB), même si nous avons le même objectif final de réduire notre impact environnemental. L’ACS vise à produire des aliments et de la biomasse en quantité importante, ce qui n’est pas l’objectif de l’AB, dont le principe est avant tout la réduction de la chimie.
En quoi l’Agriculture de Conservation des Sols répond-elle aux problématiques actuelles de gestion de la ressource en eau dans un contexte de dérèglement climatique qui s’accélère ?
L’ACS augmente la résilience de l’agriculture face aux aléas climatiques. C’est toute la richesse de cette agriculture : en imitant le milieu naturel, elle répond à des épisodes climatiques de manière plus résiliente. Quand il tombe énormément d’eau sur un sol labouré ou travaillé, toute la terre s’en va dans l’eau, dans les rivières (phénomène d’érosion), avec toutes les conséquences néfastes pour les cours d’eau ensuite.
A contrario, dans une prairie ou une forêt par exemple, l’eau de pluie n’emporte pas le sol : plutôt que de ruisseler, l’eau s’infiltre dans le sol grâce à la présence de végétaux et d’un sol bien structuré. C’est le même principe dans un champs cultivé en ACS : le sol en bonne santé et bien structuré (grâce aux galeries de vers de terre et aux racines notamment) va permettre une meilleure infiltration de l’eau et limiter l’érosion jusqu’à 90 % !
De la même façon, les avantages de l’ACS sont importants en cas de manque d’eau. Un sol en bonne santé joue un effet « éponge », qui permet de stocker l’eau pour le restituer aux plantes quand elles en auront besoin. Ce n’est pas négligeable, surtout dans les pays en stress hydrique important. Au Maroc, par exemple, les agriculteurs ont constaté des rendements supérieurs de 25 à 40 % grâce au paillage de leurs sols et à l’ACS.
Il faut avoir le plus de biomasse (cultures et couverts végétaux) par hectare pour être plus résilient face au dérèglement climatique.
C’est donc l’état du sol, s’il est vivant ou pas, qui lui permet de réagir différemment face aux aléas climatiques. Pouvez-vous nous détailler l’impact de l’ACS sur le sol et sur l’environnement ?
L’ACS est très favorable à la biodiversité (jusqu’à 15 fois plus de vers de terre, plus d’insectes, plus d’abeilles etc…). Elle stocke aussi plus de carbone dans le sol (grâce à l’augmentation de la matière organique du sol), ce qui permet de lutter contre le réchauffement climatique.
En passant moins souvent le tracteur (puisqu’on ne laboure plus et qu’on ne travaille jamais notre sol avant le semis), on diminue également l’utilisation de gasoil de 60 % ! Ce qui est autant de gaz à effet de serre évités. Je suis super content et fier quand je vois 1mm de terre très noire en surface de mes terres. Cela signifie que mon sol est en bonne santé mais aussi que je produis pleins de services environnementaux.
Tous ces avantages agronomiques et environnementaux sont constatés sur le terrain par les agriculteurs qui pratiquent l’ACS, mais aussi documentés par de nombreuses références scientifiques à travers le monde.
Il ne faut pas qu’un sol se repose : plus il y a de vivant dessus, plus il y a de vivant dedans.
L’ACS est-elle reconnue et valorisée par les politiques publiques, les acteurs des territoires et les filières agricoles ?
L’agriculture de conservation des sols est une voie d’avenir, qui doit être encouragée et soutenue, avec de vrais programmes de développement, partout dans le monde. C’est déjà un peu le cas, mais nous ne sommes qu’au début de cette transition (seulement 4 % des agriculteurs français pratiquent l’ACS aujourd’hui).
Les agriculteurs doivent être mieux formés, mieux accompagnés, mieux responsabilisés. Beaucoup sont déjà très soucieux d’améliorer leurs pratiques et font des efforts considérables pour y parvenir, sans être vraiment valorisés et remercier pour cela. C’est tout l’enjeu du Label « Au cœur des Sols » : faire connaître et reconnaître l’ACS, cette agriculture qui permet de concilier protection de l’environnement et production agricole.
En épaulant un agriculteur labellisé « Au Cœur des Sols », à travers notre projet « Du carbone Au Cœur des Sols », certifié bas carbone par le Ministère de la Transition écologique, une entreprise peut, dans le cadre de sa stratégie bas carbone, financer la transition agroécologique des agriculteurs, via l’achat de crédits carbone. C’est une façon pertinente d’agir concrètement pour se mobiliser au côté des agriculteurs qui osent prendre des risques et adopter de nouvelles pratiques.
Les filières doivent aussi se réinventer, pour s’approvisionner plus massivement en matières premières issues de système de production innovant et vertueux. Enfin, de vraies politiques publiques plus ambitieuses doivent voir le jour, avec une vision globale et systémique. La PAC et les politiques publiques nationales et locales sont encore trop timides, trop morcelées, et ne permettent pas suffisamment aux agriculteurs de se projeter dans une vraie révolution de leur système de production.
En quelle quantité irriguez-vous et pour quelles cultures ?
Mon père était le premier irrigant de Vendée en 1969. Le nord de la Vendée, c’est la fin du Massif armoricain et le sud de la Vendée, c’est le début du bassin aquitain. Sur le Massif armoricain, l’eau ne peut pas s’infiltrer : l’eau court dans le granit, elle fait des rivières et des torrents et finit à la mer. En revanche, dans le bassin aquitain, le sol est fait de calcaire et l’eau s’infiltre dans les nappes souterraines. C’est la plaine séchante.
J’ai sous mes pieds deux grandes nappes phréatiques calcaires alimentées par les pluies qui viennent des bassins versants. C’est cette eau qu’on utilise pour arroser nos cultures et pour la garder dans des réserves de substitution avant qu’elle ne parte à la mer. Nous avons de l’eau même cet été : j’en ai actuellement à trois mètres sous mes pieds.
Je pense que nous avons intérêt à garder le surplus d’eau l’hiver avant qu’il aille à la mer afin de pouvoir nous en servir pour continuer les cycles de production de biomasse toute l’année. Nous arrosons toutes les cultures qui en ont besoin : maïs, soja et un peu de tournesol en été, blé dur, blé tendre au printemps.
Notre capacité d’irrigation est notre assurance récolte.
Tout agriculteur qui a la garantie d’avoir de l’eau pourra lutter contre les températures extrêmes et éviter certaines catastrophes de rendements. Les coûts de l’irrigation augmentant, il est dans l’intérêt de tous les agriculteurs d’être le plus économes possibles, indépendamment de la pression environnementale.
En ACS, nous cherchons à avoir une grande variété de cultures. Nous avons aussi des dates de semis un peu décalées. Pour ces deux raisons, nous avons moins besoin d’eau pour l’irrigation des cultures en été, là où l’eau est plus rare. Cet été, nous n’avons pas eu besoin d’arroser notre blé tendre, par exemple.
Quelle est votre position sur les bassines ?
Je ne parle pas de « bassines ». Ce terme n’existait pas il y a deux ans ! Quand quelqu’un parle d’une bassine, vous pouvez être sûr qu’il est contre. Il faut penser les réserves de substitution de façon intelligente. Même s’il est important de se projeter dans l’avenir pour prendre en compte l’impact long terme de nos décisions, il faut aussi raisonner au temps présent : aujourd’hui, il y a suffisamment d’eau dans certaines régions pour faire des réserves et irriguer. C’est ce qui nous permet d’utiliser l’eau stockée lorsque les milieux en manquent. Autant le faire, pour nous permettre d’avoir le plus de cultures possibles, qui favoriseront à leur tour le cycle de l’eau, grâce à l’évapotranspiration. C’est ce cercle vertueux qu’il faut préserver : sans eau, pas de plantes ; sans plantes, pas d’eau !
J’ai été responsable pendant 15 ans de la gestion de l’eau dans le bassin versant du Marais poitevin sur le secteur du Lay. J’ai participé aux travaux visant à créer des réserves. Je me suis toujours dit qu’il fallait que notre agriculture soit cohérente avec les enjeux environnementaux. Chez nous, heureusement qu’on a construit ces réserves parce qu’on peut aujourd’hui réfléchir intelligemment à la répartition de l’eau entre usages. Sachant que la gestion de cette eau n’est pas privatisée mais bien sous la responsabilité des collectivités territoriales. Des optimisations pourraient néanmoins être réalisées pour encourager la sobriété (prix et volume par pallier par exemple, formation ou conseil plus personnalisé etc…).
Je ne peux pas parler de la situation dans d’autres régions, en revanche : je n’ai pas les données. Mais en tout cas je suis certain qu’en appliquant des recettes toutes faites, sans analyse du territoire et sans adaptation locale, on va dans le mur.
Avoir de l’eau, c’est la garantie d’un cercle vertueux de production. Il nous faut la France la plus verte possible car c’est ce qui garantira l’évaporation et la pluie en été.
En agriculture, tous les temps sont bons mais il ne faut pas qu’ils durent : il faut qu’il fasse sec, il faut qu’il pleuve, il faut du froid, il faut du soleil, mais pas trop, ni trop longtemps. Et au bon moment. Or nous vivons des sécheresses qui durent longtemps ou des épisodes de pluie intenses. L’agriculteur suit souvent les recommandations des techniciens de façon standardisée, sur la base de décisions centralisées et statistiques. Or il faudrait que les agriculteurs choisissent leurs interventions (types de cultures, dates de semis, dates d’intervention de traitement, types de traitements/fertilisation, et irrigation) au plus près de leurs conditions locales et de terroirs. Dans certains terroirs, il n’est pas logique de cultiver certaines cultures qui nécessiteraient trop d’irrigation par exemple. Selon certaines années et dans certaines situations, il n’est pas raisonnable de stocker des quantités d’eau trop importantes. C’est cette adaptation au terrain et à sa diversité qui fait la force de l’agriculture française et qu’on ne doit pas perdre.
Il n’y a pas de solution miracle globale concernant l’eau ou l’agriculture. Il faut prendre des décisions locales.
Quel est votre rapport personnel à l’eau et aux fleuves ?
Je vais vous répondre en vous parlant de notre ferme. Elle a la particularité d’être entre le Marais poitevin, une zone humide, où la mer s’est arrêtée il y a 2 000 ans, où nous élevons nos vaches, et une plaine séchante calcaire. A quelques pas près, je suis dans une zone où il faut arroser ou dans une zone où il y a trop d’eau. La Vendée est une zone où l’homme a tout construit, en bâtissant des polders et des digues là où, il y a 500 ans, il n’y avait que des marais. Mon boulot d’agriculteur, c’est de m’adapter, de modifier aussi pour produire.
L’eau, c’est de la géologie, c’est du sol, des roches. Sur la ferme, nous sommes à la fracture entre deux mondes : le Massif armoricain et le Bassin aquitain.
Ici, en Vendée, nous avons deux fleuves qui se jettent dans l’océan Atlantique : la Sèvre Niortaise, entre La Rochelle et les côtes vendéennes, et le Lay, qui est le principal fleuve côtier du département. La Vendée, elle, est une rivière qui se jette dans la Sèvre Niortaise. Mon fleuve de cœur, c’est le Lay.
Fleuve et agriculture sont liés. Quand on est agriculteur, on ne peut pas ne pas s’intéresser à l’eau. Nos résultats agronomiques en dépendent et le choix de nos pratiques influe directement sur la ressource en eau.