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Toutes les actualités"Une confrontation d'expériences qui permet de formuler des recommandations capables d'être entendues et acceptées par plus d'acteurs"
Thomas Galewski, chef de projet à la Tour du Valat (France) a fait partie de la délégation présente en Chine, pour notre conférence consacrée aux fleuves et à la biodiversité. Il a pu y rencontrer les experts internationaux d’IAGF et de nombreux acteurs du Fleuve Jaune et de la ressource en eau en Chine. Interview-bilan avec ce spécialiste des zones humides méditerranéennes dont les travaux visent à faire un suivi et évaluer l’état de conservation de la biodiversité dans ces espaces.
Que retenez-vous de la conférence organisée par IAGF en Chine sur les fleuves et la biodiversité ?
J’ai eu un grand intérêt à rencontrer le groupe d’experts d’IAGF et à travailler avec eux pendant cinq jours sur cette thématique. Je suis revenu avec beaucoup d’optimisme. C’est une expérience originale d’avoir réuni des personnes avec des compétences aussi variées et pointues pour échanger sur la biodiversité, sujet qui ne constitue pas le cœur de leur expertise. Cette confrontation d’expériences multiples – alimentation, économie, biodiversité, énergie, urbanisme… – et internationales permet de formuler des recommandations plus à même d’être entendues et acceptées par un large panel d’acteurs que s’il s’agissait de propositions émises par des spécialistes de la conservation uniquement.
Sur le Fleuve Jaune et la Chine en particulier, j’ai été, comme tous, impressionné par leur capacité à mener des actions rapides et efficaces. C’est une bonne nouvelle selon moi qu’un pays aussi puissant que la Chine ait pris conscience de l’urgence climatique et de la crise de la biodiversité car elle peut prendre des actions immédiates et de grande ampleur et, je l’espère, aura la capacité d’exporter ses bonnes pratiques, notamment en Afrique où elle est très présente.
Au regard de votre expérience des zones humides du bassin méditerranéen, confrontée aux autres expériences du monde entier présentées lors de cette conférence, quels sont selon vous les grands enjeux pour la biodiversité fluviale ?
Que ce soit dans le bassin méditerranéen, qui présente déjà un panel de pays très contrastés en termes socio-économiques, ou en Asie, les problèmes sont finalement identiques, même s’ils ne s’écrivent pas de la même façon. Le Fleuve Jaune souffre d’un excès de sédiments à l’inverse de beaucoup de fleuves méditerranéens mais les menaces qui pèsent sur la biodiversité sont similaires. La première est l’impact des grands barrages sur le fonctionnement des fleuves, qui réduisent le débit en aval et constituent un obstacle à la migration des poissons. La canalisation et l’endiguement des fleuves sont aussi problématiques lorsque ces infrastructures ont été construites sans tenir compte des plaines naturelles d’inondation, des ripisylves et zones humides alluviales. Souvent, ces habitats ont été détruits ou largement réduits alors que ce sont les principaux réservoirs de biodiversité pour les fleuves et les meilleurs atténuateurs de crue.
Les phénomènes de pollution sont aussi partout présents et mal évalués. Un quatrième aspect concerne la protection des espèces endémiques qui ont pu se développer dans un bassin versant. Dans le bassin du Fleuve Jaune, une espèce de poissons sur cinq est endémique. Lorsqu’on aménage le fleuve, il faut préserver ce patrimoine de biodiversité. Enfin, on n’appréhende pas suffisamment le fleuve dans son intégralité, de la source à la mer, quand il s’agit de résoudre un problème environnemental ou de concevoir un aménagement et cela a été très bien dit durant la conférence. Quand on construit un barrage qui retient les sédiments, on crée un impact sur le trait de côte à l’embouchure ; quand on déboise à la source, on menace le fleuve en aval. Le Fleuve Jaune semble une exception car la Commission de Conservation du Fleuve Jaune a réussi à avoir une approche sur les plus de 5 400 km de son cours !
Durant ces échanges, il a été beaucoup question de coopération internationale pour partager les savoirs et solutions. Que pourrait amener votre institut de recherche aux gestionnaires du Fleuve Jaune ?
Il me semble qu’il manque un suivi et une évaluation de la biodiversité. Un observatoire de la biodiversité pourrait permettre de cerner les facteurs d’origine anthropique qui pèsent sur les milieux et d’évaluer l’efficacité des actions de conservation. Des actions de restauration sont menées en Chine (zones humides ; reforestation…) mais on n’a pas eu d’indicateurs pour mesurer leurs résultats sur la préservation des espèces animales et végétales. Je pense que la Tour du Valat pourrait apporter cette compétence ; nous l’avons déjà fait en Tunisie, en Turquie…
Nous pourrions aussi les accompagner sur des programmes de restauration et de gestion des zones humides littorales ou alluviales, qui donnent plus de place au fleuve. Notre préoccupation a toujours été de gérer des zones humides qui soient support de la plus grande biodiversité possible tout en maintenant des activités humaines. C’est la recherche de synergie entre un fleuve, son exploitation économique et le maintien de ses fonctions écologiques et donc de la biodiversité.
2020 sera une année importante pour la biodiversité, avec le prochain Congrès mondial de la nature à Marseille et la Convention sur la diversité biologique en octobre en Chine. Qu’en attendez-vous et que pourrions-nous faire ensemble ?
Laissons faire la nature là où c’est possible, redonnons de l’espace aux zones humides connectées au fleuve ou sur le littoral : voici le message que nous aimerions porter avec IAGF. C’est le mécanisme des Solutions fondées sur la nature, qui constituent souvent des actions efficaces et peu coûteuses. Nous avons pour nous l’exemple du bassin méditerranéen qui est un triple « point chaud » : une biodiversité riche mais menacée ; une pression humaine très forte, qui impacte la disponibilité de la ressource en eau ; une zone très sensible au changement climatique. L’expérience que nous avons acquise sur ce territoire peut servir à d’autres.
Un autre message, beaucoup entendu lors de la conférence, est la nécessité de concilier biodiversité et bien-être humain. Il ne s’agit ni de mettre la nature sous cloche, ni de vouloir dominer la nature. Nous ne devons pas oublier que la nature forme un ensemble dynamique, qui va encore évoluer avec l’impact du dérèglement climatique. Nous devons toujours trouver le meilleur équilibre possible.
Photos : La Tour du Valat / Camille Moirenc