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Toutes les actualitésLe droit, comme levier d’action citoyenne contre le changement climatique
Le temps long et la complexité de la diplomatie climatique internationale poussent de plus en plus la société civile à vouloir agir par elle-même. Des citoyens, partout dans le monde, choisissent de faire progresser la lutte contre le dérèglement climatique avec comme arme, le droit.
Un mouvement qui prend de l’ampleur
En janvier, le Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE) a publié son rapport annuel sur l’état des contentieux environnementaux. Premier constat : une nette augmentation des procès. Depuis 2017, le nombre de litiges a presque doublé, passant de 834 cas dans 24 pays à plus de 1 550 dans 38 pays différents. Des tendances se dessinent : de plus en plus, la vulnérabilité de certaines populations provoquée par les impacts du dérèglement climatique est mise en relation avec la défense des droits de l’homme ; la pression s’accroît sur les États et les entreprises pour changer leurs pratiques.
En France, le début de l’année a été marqué par la condamnation – en première instance -, de l’État pour inaction climatique, par le tribunal administratif de Paris. Après deux ans de mobilisation, impliquant plusieurs associations (Oxfam France, Greenpeace…), une pétition soutenue par plus de deux millions de citoyens et une campagne très médiatisée portée par l’association Notre Affaire à tous, cette décision est une première victoire pour l’instauration d’une justice climatique. Cette dernière vise à donner la possibilité à des victimes de demander des réparations à l’État. La procédure se poursuivra au printemps, avec une éventuelle obligation pour l’État de prendre des mesures concrètes. Cet exemple n’est pas isolé, il s’inscrit dans un mouvement mondial, animé par des citoyens.
Un nouvel outil de mobilisation citoyenne
La lutte contre le changement climatique est plus que jamais une problématique citoyenne. Les marches pour le climat puis les « Fridays for future » (vendredis pour le futur), en témoignent. Le droit est un des moyens de leur action avec une efficacité de plus en plus forte, comme le souligne le rapport du PNUE. Judith Rochfeld, professeure de droit à la Sorbonne, indiquait au journal Le Monde à ce propos :
Les citoyens obligent leur gouvernement à réintégrer les communs en politique ».
En décembre 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a condamné le gouvernement à honorer ses engagements en termes de réduction d’émissions de CO2. Cette affaire a été soutenue par une ONG représentant près de 900 personnes. En Colombie, un groupe de 25 enfants et jeunes, porté par l’ONG Dejusticia, a poursuivi l’Etat en justice pour l’obliger à mettre fin à la déforestation et la Cour Suprême leur a donné raison en 2018. En ce début d’année, c’est le cacique Raoni, chef indigène de la communauté Kayapo, qui a porté plainte contre Jair Bolsonaro pour crime contre l’humanité.
L’utilisation du droit pour le climat, s’est accélérée après la COP 21. Une nouvelle étape a été franchie, avec la reconnaissance des citoyens comme acteurs à part entière dans la lutte contre le réchauffement climatique. La force du mouvement tient à sa résonance à la fois dans les territoires et à l’échelle globale. Selon Judith Rochfeld, il y a là l’émergence « d’une société civile mondiale ». Même si les processus sont longs et les décisions positives et impactantes encore rares. Et que ces actions sont encore limitées à quelques pays.
Et si la nature avait des droits ?
Les contentieux climatiques prennent appui sur différentes bases juridiques : les droits humains, les lois nationales en faveur de l’environnement, mais aussi les engagements internationaux notamment en vertu de l’Accord de Paris. Le champ d’application de ces contentieux s’étend, posant de nouvelles problématiques juridiques et poussant le droit à se renouveler. Dans cet effort de transformation, la notion de personnalité juridique octroyée à la nature a émergé et prend de l’ampleur, comme le montre le rapport publié par le Cyrus R. Vance Center for International Justice, l’Earth Law Center et International Rivers. Cette approche s’inspire de traditions indigènes qui considèrent l’homme et la nature comme un tout et non comme des entités distinctes. Ses promoteurs la présentent comme un moyen d’opérer des changements nécessaires et conséquents pour protéger l’environnement. D’une part, elle établit que la nature a des droits et n’est pas la propriété de l’être humain. D’autre part, elle donne la possibilité de défendre ses droits devant une cour de justice.
Le rapport se penche notamment sur la personnalité juridique des fleuves et rivières et les nombreuses avancées à travers le monde, au-delà de l’exemple emblématique du Whanganui en Nouvelle-Zélande.
Les effets de ces reconnaissances ne sont pas forcément perceptibles directement, mais ils sont hautement symboliques et ouvrent la voie vers un changement de paradigme.
Pour en savoir plus, retrouver l’interview de Valérie Cabanes