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Toutes les actualitésInterview avec Johannes Cullmann, Directeur du département Climat et Eau au sein de l’OMM et Directeur du Secrétariat de la Coalition Eau et Climat
Johannes Cullmann est le Directeur du département Climat et Eau au sein de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Il est également le Directeur du Secrétariat de la Coalition Eau et Climat (WCC), une initiative multipartite lancée dans le cadre de l’Accélérateur SDG 6 qu’IAGF a rejointe en 2021. Nous l’avons interviewé après la COP 26, à laquelle il a assisté à Glasgow en novembre dernier.
Pourquoi était-il capital que la Coalition Eau et Climat assiste à la COP 26 ?
La Coalition Eau et Climat a été créée dans l’idée de soutenir l’intégration des thèmes de l’eau et du climat. Il s’agit de combler l’espace manquant entre le débat sur le développement durable de l’eau et celui sur le développement durable du climat. Le fait de participer à la COP a constitué un moyen de relier ces deux négociations qui étaient auparavant cloisonnées. Nous souhaitons intégrer les thèmes de l’eau et du climat en ce qui concerne l’adaptation et la résilience mais aussi l’atténuation des effets du dérèglement climatique.
C’était la première fois que nous avions un pavillon porté par la Coalition. Cela a été un vrai succès : le pavillon a permis de réunir des personnes qui n’auraient normalement pas discuté de la question de l’eau. Les délégués des équipes de négociation sont venus nous écouter, ils ont débattu avec d’autres visiteurs. Le pavillon a agi comme un catalyseur d’informations.
Nombreux sont les gens, y compris les négociateurs, qui ne savent pas que l’eau est un problème important, comme ils ne savaient pas que le climat était un problème important dans les années 70. Pour eux, l’eau est une marchandise à disposition, un bien de la nature que l’on peut considérer comme acquis. Ils ne sont pas conscients de la diminution de nos réserves d’eau. Trois COP auparavant, il n’y avait pratiquement aucun débat sur l’eau. Aujourd’hui, beaucoup de gens se rendent compte qu’il n’y a pas d’adaptation possible sans aborder la question de l’eau.
Dans quelle mesure les questions liées à l’eau ont-elles été prises en considération lors de la COP 26 ?
L’importance qu’il y a à intégrer la question de l’eau et à chercher des moyens de prendre des décisions plus éclairées en matière d’adaptation et de résilience a décollé au cours de cette COP. C’est un très bon signe ! Mais cela ne s’est pas traduit par des résultats tangibles dans les négociations : celles-ci sont beaucoup plus formelles et moins axées sur l’adaptation.
Il y a de fortes probabilités que nous ne respections pas l’accord de Paris. Nous sommes plus proches du scénario à +2,2 ou 2,3° C que de celui à +1,5 ou 1,8° C. Les négociateurs mettent toujours l’accent sur la nécessité de rassembler les gens pour réduire le niveau des gaz à effet de serre. Mais parallèlement, il y a une vraie prise de conscience que, même si nous parvenons à limiter la hausse des températures à +1,5° C, les systèmes alimentaires traditionnels perdront 10 % de leur productivité, les calottes glaciaires et les glaciers continueront de fondre et les grands fleuves perdront en débit d’eau. L’impact du changement climatique sur le système hydrologique a déjà touché les populations. La COP 27 se tiendra en Égypte l’année prochaine et, en 2023, la conférence des Nations Unies sur l’eau aura lieu à New York. Cela nous laisse deux ans pour générer un mouvement international afin de prendre ce sujet à bras-le-corps. Les bases de cette coopération ont été posées à Glasgow.
Que va-t-il se passer entre maintenant et 2023 ? Ne craignez-vous pas que deux années soient gâchées ?
L’année prochaine a lieu la COP en Egypte. L’Égypte est l’un des pays qui dépend le plus du développement futur de l’eau. Je pense qu’ils seront donc partie prenante dans le fait de débattre des questions liées à l’eau de manière active. Je ne pense pas que nous allons perdre deux ans. Ce genre de processus est très lent. Il nous a fallu une vingtaine d’années pour parvenir à l’accord de Paris alors que nous étions au courant des impacts de l’effet de serre dans les années 80. Si nous parvenons à nous mettre d’accord sur une nouvelle manière d’aborder le thème de l’eau, sur une nouvelle conception de la coopération et sur de nouveaux processus, je pense que nous irons plus vite que le processus climatique.
Il nous faut un nouvel accord d’ici à 2023 : il faut que les pays du monde entier s’unissent pour préserver l’eau, et pas seulement en tant que marchandise. Nous devons travailler ensemble pour faire en sorte que notre environnement soit suffisamment aquatique pour nous aider à être plus résilients face au changement climatique.
Ce que j’espère pour 2023, c’est que nous parvenions à une prise de conscience et à une alliance au niveau mondial afin de “réhydrater” notre environnement. Cela nous rendra plus résistants face aux inondations et aux sécheresses ainsi qu’au changement climatique. Le meilleur moyen d’améliorer la capture du carbone, dont nous aurons besoin pour limiter le réchauffement climatique mondial, est de renforcer son absorption par les systèmes naturels. Nous avons besoin d’une agriculture qui maximise l’absorption du carbone.
D’ici à dix ans, nous devrons résoudre la question de l’atténuation du changement climatique, et d’ici à deux à trois ans, nous devrons trouver un accord sur la manière dont nous voulons aborder la résilience et l’adaptation dans le secteur de l’eau.
Quelles solutions concrètes le WCC propose-t-il ?
Notre objectif central est de parvenir à un accord d’ici à un an et demi. Nous voulons organiser une coopération internationale, basée sur l’ouverture et la transparence, afin que chacun sache à quoi s’en tenir en termes d’informations et de données sur l’eau. Cela n’existe pas encore : nous pouvons surveiller les températures et l’atmosphère, mais nous ne pouvons pas surveiller le cycle de l’eau. Nous avons besoin d’un cadre de coopération dans lequel les gens se font confiance et travaillent ensemble à la mesure des données et à leur partage afin de créer et capitaliser les informations communes dont nous avons besoin pour gérer l’eau de manière avisée et nous défendre contre les pires impacts des catastrophes liées à l’eau.
Il nous faut également des programmes d’adaptation au changement climatique qui dépassent les frontières nationales. Nous avons besoin de programmes basés sur les rivières ou les régions, où l’eau est liée au thème de l’alimentation, par exemple. Le WCC souhaite proposer un mécanisme à cet effet et espère que les COP 27 et 28 s’en saisiront et décideront de la manière dont il pourra être mis en œuvre après mars 2023. Ce sont nos deux grands sujets.
Pouvez-vous nous en dire plus sur HydroSOS ?
HydroSOS (Hydrological Status and Outlook System) est l’une des principales contributions que le WCC souhaite apporter. Cet outil permet aux acteurs au niveau national d’évaluer leurs ressources en eau, de suivre ces mesures et de produire des perspectives saisonnières. Il permet aux agriculteurs de savoir quelle culture planter, par exemple, et quand arroser.
Nous travaillons avec des partenaires locaux et nationaux pour accroître leurs capacités à produire et à utiliser ces informations. HydroSOS a deux actions principales : il permet d’évaluer les ressources en eau d’une part et de fournir des prévisions d’autre part. 66 % des pays du monde ne sont pas en mesure d’estimer l’évolution de leurs ressources en eau au cours des prochains mois. Ils essaient de gérer leurs ressources grâce à leurs données historiques. Mais l’hydrologie est un processus non stationnaire : les conditions climatiques changent, nous avons plus d’inondations et de sécheresses, nous avons des conditions différentes de fonte des neiges.
Où en êtes-vous dans l’utilisation de l’outil HydroSOS ?
Cet outil a été développé par l’OMM. Nous avons eu une phase de test de quatre ans : nous avons développé la technologie nécessaire pour le mettre en œuvre. Mais ce n’est pas quelque chose qui part de rien. Ce n’est pas une nouvelle solution technologique que nous mettons en place dans chaque pays : nous développons les capacités existantes de chaque pays.
HydroSOS est un outil qui permet de mettre à niveau et de développer toutes les capacités en matière d’eau qui existent dans un pays. Il permettra de constituer le système régional et mondial que nous souhaitons mettre en place afin de mieux gérer l’eau.
Nous avons lancé deux projets pilotes en Asie et en Afrique. Nous avons développé la méthodologie, les outils dont nous avons besoin et la liste des produits dont il faut au minimum disposer afin d’assurer une évaluation harmonisée des informations. J’ai travaillé pour le service hydroélectrique allemand : il y a seulement 15 ans, nous avons développé des données et des méthodes cohérentes pour évaluer l’eau dans le bassin du Rhin. Même dans les pays très développés, il reste beaucoup de travail à faire.
Les 193 membres du Congrès de l’OMM ont maintenant décidé que HydroSOS allait entrer dans sa phase de mise en œuvre. Je me suis rendu récemment en Inde et au Bangladesh pour mettre en place le système opérationnel de HydroSOS dans les bassins des fleuves Gange, Brahmapoutre et Meghna. Nous sommes également en train de le mettre en œuvre dans le bassin du Nil et en Amérique centrale, du Nord et du Sud. Cette mise en œuvre à l’échelle mondiale devrait coûter environ 600 millions. Le coût de fonctionnement du système devrait quant à lui s’élever à une centaine de millions par an. Cela semble beaucoup, mais c’est juste le cinquième du coût d’un sous-marin !
Quelles sont les répercussions, actuelles et à venir, du changement climatique sur les grands fleuves ?
Les répercussions du changement climatique se traduiront par des modifications du régime d’écoulement. Nous pouvons déjà le constater sur le Rhin : le pic de débit se situe au printemps et non plus au début de l’été, par exemple. Les fleuves qui sont alimentés par les montagnes auront un débit accru ou diminué. Le ¼ du débit du Rhin en automne provient de la fonte des glaces, en situation de faible débit : si vous enlevez cela, dans cent ans, le Rhin aura 25 % de débit en moins dans ces conditions. Cela signifie des problèmes de température plus importants et moins d’eau pour refroidir les centrales électriques et pour l’irrigation. Les fleuves donnent la mesure de l’évolution de notre monde face au changement climatique. Les deltas souffrent également de l’augmentation du niveau de la mer et de l’intrusion de l’eau salée.
Pourquoi est-il encore si difficile, selon vous, de donner aux fleuves la place qui leur revient dans ces négociations internationales alors que l’océan est pleinement pris en considération ?
Je ne pense pas que l’océan soit pleinement pris en considération ! Mais je pense que la pression sur les fleuves est plus forte parce qu’ils sont si proches des gens. Ils ont été un moyen de développement économique pour nous pendant si longtemps et ils ont un impact sur notre santé physique. Paradoxalement, les gens ne sont pas si conscients que ça des défis auxquels les grands fleuves sont confrontés. Si nous en étions plus conscients, nous investirions plus d’argent pour créer des systèmes plus naturels.
En conclusion, je voudrais dire que nous sommes à un moment à la fois très intéressant et critique, mais aussi plein d’espoir. Les gens commencent à envisager des alternatives. Nous devons les encourager. J’espère que les gens qui viendront prendre part à ces processus seront toujours plus nombreux et qu’il n’y aura pas seulement de vieux hommes blancs comme moi. Nous voulons amener les jeunes à la table des négociations.
J’espère que les jeunes pourront prendre part aux décisions sur la manière dont ces changements concernant l’eau et la résilience doivent être effectués.