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Interview de Hamed Diane Semega, Haut-Commissaire de l’Organisation de Mise en Valeur du fleuve Sénégal

“Le Forum Mondial de l’eau à Dakar doit créer une dynamique de responsabilisation individuelle et collective”

Alors que le 9e Forum Mondial de l’Eau s’ouvre le 21 mars 2022 à Dakar, Hamed Diane Semega, Haut-Commissaire de l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et membre d’IAGF, nous éclaire sur les enjeux de cette rencontre pour une meilleure prise en compte de la question de l’eau sur la scène internationale et du rôle-clé joué par les organismes de bassins. A l’occasion du cinquantième anniversaire de l’OMVS, le Haut-Commissaire veut faire rayonner ce modèle de gouvernance d’un fleuve, en candidatant au prix Nobel de la paix, avec le soutien d’IAGF.


L’Afrique subsaharienne accueille pour la première fois, du 21 au 26 mars prochain, à Dakar, le 9e Forum Mondial de l’Eau. Quelles sont vos attentes ?  

Nous sommes d’abord très heureux d’accueillir cet événement mondial. C’est la première fois qu’il aura lieu en Afrique subsaharienne, au Sénégal qui plus est abrite deux organismes de bassins : l’OMVS, (qui assure par ailleurs le secrétariat du RAOB (Réseau Africain des Organismes de Bassin), et l’OMVG (Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Gambie). C’est un immense plaisir d’accueillir tous les participants, dont nos amis d’IAGF, qui est l’avocat des fleuves, l’avocat des sans-voix, et dont nous nous honorons d’être membre.

Nos attentes sont nombreuses mais réalistes : nous savons que nous ne pouvons pas tout faire, même avec les meilleures intentions du monde. En revanche, ce rendez-vous est clairement placé sous le signe des solutions, selon la volonté du Comité d’organisation de Dakar 2020/2022, sous l’impulsion du président de la République Macky SALL et en partenariat avec le Conseil Mondial de l’Eau.

Tout le monde parle de l’eau comme source de vie, comme un élément de première importance stratégique, mais elle n’est pour autant pas traitée comme un sujet environnemental central, que ce soit du point de vue des infrastructures ou de la gestion en amont des conflits.

Il faut que la question de l’eau, qui est une question centrale, ne soit plus seulement une affaire d’experts mais celle de tout le monde.

Comment faire pour que l’eau soit une préoccupation politique de premier plan et sortir de l’entre-soi des experts ? Selon moi, il faut que chaque citoyen au monde soit sensibilisé et change son comportement vis-à-vis de la ressource. En Afrique, où le stress hydrique sévit dans de nombreuses zones, nous n’avons pas le sentiment que cette question soit prise en compte avec l’acuité nécessaire. Le Forum de Dakar doit créer une dynamique de responsabilisation individuelle et collective, celle de la communauté internationale.

La thématique retenue est celle de la sécurité de l’eau pour la paix et le développement. En quoi ce Forum est-il essentiel pour le processus politique international, dans la perspective de la Conférence sur l’eau des Nations Unies de 2023 ?

L’eau sera de plus en plus au centre des enjeux stratégiques et risque de donner naissance à des conflits importants. Le massif du Fouta-Djalon, en Guinée, en est un exemple flagrant : il est au cœur de la problématique de la disponibilité de la ressource en eau pour toute l’Afrique de l’ouest. Le fleuve Sénégal y prend sa source comme une dizaine d’autres fleuves et rivières. Sa fragilité ne fait qu’empirer en raison des événements climatiques et des activités humaines. Mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait une prise de conscience sur l’urgence à arrêter les dégâts : les mêmes actes continuent à se reproduire, à une échelle qui fait courir un danger à tout le monde.

Le fleuve Sénégal – Source : IAGF

Nous attendons de ce Forum des solutions concrètes. Il sera aussi l’occasion pour les organismes de bassin de faire entendre leur voix. La cause des fleuves peine à être entendue. J’espère qu’elle le sera davantage à la Conférence sur l’Eau de 2023 aux Nations-Unies également.

La voix des bassins n’a-t-elle pas été entendue lors des précédents forums, selon vous ?

Quelque part, cette voix était enveloppée dans des thématiques globales. Au Forum de Dakar, une journée entière sera consacrée aux bassins hydrographiques. A mon sens, ces bassins qui regroupent plusieurs pays ou plusieurs communautés constituent l’échelon le plus indiqué pour construire une paix durable, en tout cas en ce qui concerne la préservation des écosystèmes liés aux fleuves, et pour créer un effet d’entraînement sur d’autres segments d’activité.

La paix doit se construire au niveau des bassins hydrographiques. Ils permettent de tisser des relations qui peuvent consolider la paix.

En quoi l’OMVS peut-elle constituer un modèle pour la gestion d’un fleuve et de la ressource en eau douce ?

Le modèle de l’OMVS est un modèle unique, du fait de son socle juridique qui sert de guide à toutes les actions de l’organisation depuis sa création le 11 mars 1972. Il consacre le fleuve comme un bien international.

Par ailleurs, les ouvrages qui ont été construits sur son cours appartiennent aux pays de façon indivisible et solidaire. Un ouvrage construit au Mali, par exemple, n’appartient pas au Mali seul : il appartient à la fois au Mali, à la Mauritanie, au Sénégal et à la Guinée.

Le fleuve Sénégal nous appartient à tous et tout ce qui se fait sur le fleuve doit se faire avec l’assentiment de tous au sein de l’OMVS.

Ce modèle unique permet de gommer la question de l’appartenance territoriale. Il explique que l’organisation, 50 ans plus tard, est source de stabilité et de paix. Beaucoup de personnes se demandent comment il est possible de gérer un fleuve transfrontalier dans un espace sahélien très vulnérable aux aléas climatiques. La disponibilité de la ressource en eau devient de plus en plus problématique. A l’inverse, les usages augmentent de façon exponentielle en même temps que la démographie. Le potentiel conflictuel est donc immense. Ce n’est pas un fleuve d’un pays tempéré : ce n’est pas le Rhône ni le Rhin !

Malgré cela, il n’y a pas de conflit lié à l’utilisation de la ressource en eau du fleuve, bien au contraire. Grâce au socle juridique comme la Charte des eaux -loi supranationale auxquels sont soumis tous les usages de l’eau du fleuve Sénégal – et à la dynamique permanente de dialogue, des liens inextricables ont été tissés entre pays. Nous partageons une communauté de destin.

C’est ce qui explique qu’aucun conflit n’a marqué l’histoire de l’OMVS en 50 ans d’existence ?

Oui, c’est cela. Mais il faut souligner que ce corpus juridique est l’émanation d’une volonté politique très forte. Ceux qui ont remplacé les pères fondateurs de l’OMVS auraient pu remettre en cause cette vision des choses, au contraire, ils l’ont consolidée. Nous avons un héritage que personne ne veut dilapider car il fait notre force. Chacun mesure la gravité du geste s’il mettait en danger ce patrimoine commun.

Pour aller plus loin, je dirais que l’OMVS, c’est un acte de foi. La foi en l’avenir. Depuis 50 ans, cette volonté de coopération n’a pas été démentie par les membres de l’organisation, malgré les vicissitudes de la vie politique.

Avec l’OMVS, nous avons bâti un socle de coopération à partir d’un corpus juridique unique qui est né d’une volonté politique très forte. Ce modèle non seulement garantit la paix de nos Etats depuis 50 ans mais il génère aussi de la richesse.

Quelle orientation prévoit l’OMVS pour les 50 prochaines années ? L’acte de foi sera-t-il renouvelé ?

La Conférence des chefs d’Etat réunie en 2020 à Bamako a fait une déclaration visant à consolider les acquis de l’organisation et à lutter contre la destruction des écosystèmes. Bien sûr, sous-jacent à tout cela, il y a l’idée d’assurer la paix par la coopération et encore plus d’intégration. Nous avons construit une famille autour du fleuve Sénégal depuis 50 ans.

Un document de prospective est également en préparation : il s’agit d’identifier tous les secteurs dans lesquels l’action de l’OMVS peut constituer un levier d’intégration et d’accélération de développement dans les 25 ans à venir.

Parmi les projets structurants figure celui de la remise en navigation entre Saint-Louis et Ambidédi. Où en est-il ? 

Ce projet est le chaînon manquant dans la dynamique d’aménagement du bassin du fleuve Sénégal. Nous souhaitons que cet espace constitue un lieu d’intégration économique et humaine et préfigure l’intégration africaine à une plus large échelle. Le projet de navigation est le projet le plus structurant car il donne aux autres projets qui ont déjà vu le jour (agriculture irriguée et hydroélectricité) tout leur sens. Le projet avance et IAGF nous a aidés de façon substantielle. Nous sommes maintenant en attente de la finalisation du financement, qui est en très bonne voie.

Dans sa première phase, le projet devrait durer trois ans : il s’agit de draguer le fleuve sur 905 km, de Saint-Louis à Ambidédi, de construire un chenal et un port fluvio-maritime à Saint-Louis afin de pouvoir transporter des marchandises en direction du Mali. De part et d’autre des deux rives, au Sénégal et en Mauritanie, nous souhaitons, dans une deuxième phase, développer le transport minéralier. Les mines sont actuellement non viables du fait du coût du transport. C’est un projet ambitieux mais nous avons la volonté politique de nos ambitions. Il sera réalisé pour le bien-être des populations du bassin, notamment des villes historiques comme Podor et Matam, qui devraient connaître un regain de vitalité économique.

L’OMVS est candidate au prix Nobel de la paix. Cette candidature, soutenue par IAGF, est-elle motivée par ce modèle fondateur ?

Comme la Suisse, qui est le chantre de l’hydro-diplomatie au plan mondial, nous souhaitons que la « paix bleue » soit la référence. La paix des bassins constitue le substrat à partir duquel on peut construire une paix plus globale. Quand on partage l’eau, surtout dans un contexte de rareté, on développe des synergies qui permettent de trouver des consensus sur d’autres sujets. Les fleuves doivent être un vecteur de paix.

L’OMVS a fait la preuve de la solidité de son modèle, créateur de paix et de richesse. Les investissements dans les ouvrages, qui ont demandé des sacrifices, ont permis de développer l’agriculture irriguée : des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles ont été aménagés en freinant la progression de la remontée d’eau salée grâce au barrage de Diama, par exemple. Les barrages, comme Manantali, fournissent aussi de l’hydroélectricité, que nous vendons aux SDE des Etats membres et des villes comme Dakar et Nouakchott en Mauritanie, en dépendent pour leur alimentation en eau potable. Les lignes électriques qui transportent le courant de l’intérieur du Mali aux capitales qui se trouvent sur les côtes en sont une autre belle illustration.

Si l’OMVS remportait le prix Nobel de la paix, quelle avancée cela permettrait-il pour la gestion de la ressource en eau dans le monde ?

Ce serait un écho formidable pour la paix des bassins. Cela pourrait inspirer d’autres à construire un modèle approchant du nôtre : le bassin du Nil, du Mékong, du Jourdain, par exemple. Ce sont des hommes qui ont construit ce modèle, pas des surhommes.

Et c’est possible ! Notre modèle a déjà inspiré celui de l’Organisation pour la Mise en Valeur de la Gambie (OMVG), qui est aussi devenue une référence. L’expression de la volonté politique d’assurer la paix aurait pu être un vœu pieu si elle ne s’était pas accompagnée de réalisations concrètes. Ce sont elles qui ont donné corps à cette vision de coopération et de stabilité.

Le prix Nobel de la paix permettrait de mettre en lumière le fait que, depuis 50 ans, dans l’environnement rude qui est celui du Sahel, nous coopérons sur une ressource vulnérable et de plus en plus rare sans nous faire la guerre.

En savoir plus : Programme de la participation d’IAGF au Forum de l’Eau

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