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Toutes les actualités« Lac, fleuve… la proximité de l’eau permet à la ville d’être résiliente »
Gilles Mulhauser, Directeur général de l’Office de l’eau de Genève et membre d’IAGF, accueillera la 10ème session internationale de l’association consacrée aux relations entre fleuve, lac et ville. Avant cette rencontre, il partage avec nous son retour d’expérience de la crise de la Covid-19 et les enjeux auxquels la ville de demain est confrontée.
Comment vous êtes-vous adapté à la crise ? Quelles ont été les conséquences de la pandémie pour l’Office de l’eau de Genève ?
La première conséquence a été managériale, avec la mise en place du télétravail pour la centaine de collaborateurs de l’Office.
Nos activités de terrain ont également été touchées : les chantiers publics de renaturation ont notamment été interrompus. À Genève, nous sommes en train de construire une nouvelle plage sur le lac Léman, car nous avons parmi nos missions l’aménagement des accès à l’eau. La livraison était prévue au 15 mai. Aujourd’hui, nous pensons être en mesure d’ouvrir cette nouvelle plage fin août.
En l’absence de ce nouvel accès à l’eau, qui apporte aussi ombre et fraîcheur lors de fortes chaleurs, les populations vont fréquenter massivement les autres lieux, où les aménagements de sécurité ou d’information n’ont parfois pas encore été réalisés. La demande est très forte.
La baignade en eaux vives tend à s’installer dans le Rhône à Genève. Pour beaucoup, c’est une pratique nouvelle et cela peut être dangereux. Plutôt que d’interdire, nous préférons organiser les pratiques. Depuis 3 ans, nous avons mis en place une campagne de sensibilisation via les réseaux sociaux. Sur le terrain, des travailleurs sociaux ainsi que des bénévoles travaillent sur la prévention des pratiques à risque, le respect du milieu aquatique, ainsi que les troubles au voisinage. La façon dont le confinement a été établi en Suisse, a montré combien la population était demandeuse de sorties en pleine nature ou dans les espaces publics.
Quels enseignements pouvez-vous tirer de cette crise ?
À Nagoya, en 2010, la convention sur la diversité biologique a fixé comme objectif de conserver 17 % des terres en espaces protégés. Et dans sa stratégie en faveur de la biodiversité à horizon 2030 présentée fin mai, la Commission européenne vise la transformation en zones protégées d’au moins 30% des terres et mers de l’Union européenne. Mais la question se pose également pour les lacs et les fleuves. Aujourd’hui, le fleuve est vécu comme un balcon sur la ville, et éventuellement un endroit où aller se rafraîchir, particulièrement en été. Il convient alors d’organiser les espaces publics, sans engendrer de risques supplémentaires. Ce sont ces espaces qui permettront à la ville d’être résiliente et fréquentable malgré le réchauffement climatique.
Quelle est la situation de la ressource en eau sur votre territoire à l’approche de la saison estivale ?
Nous avons connu un épisode de sécheresse important en début de printemps, résorbé depuis. La question de la pénurie semble pourtant loin à la majorité des gens, car 90 % de notre eau potable provient du lac Léman, qui constitue le plus grand volume d’eau d’Europe. Pour le débit des rivières, la masse annuelle varie peu, mais la distribution des volumes selon les mois est différente. Ce phénomène est-il naturel ou bien procède-t-il de facteurs humains ? Avons-nous réalisé trop de prélèvements pour satisfaire des besoins économiques (industriels, agricoles, etc.) jusqu’à compromettre pour nos enfants le bon état des rivières ? Un observatoire va devoir être mis en place pour assurer la gouvernance et organiser les prélèvements par acteurs et activités.
Quels sont les enjeux auxquels votre organisation est confrontée ?
À l’heure actuelle, nous constatons que l’eau n’est souvent considérée que dans le cadre de la prestation qu’elle peut délivrer : être disponible au robinet, fournir des activités de loisirs comme la pêche ou la baignade… Nous devrions appréhender la ressource en eau comme un capital. Nos usages ne devraient porter que sur les intérêts de ce dernier sans impact sur le patrimoine de base qui devrait rester constant, en qualité comme en quantité.
Nous devrions appréhender la ressource en eau comme un capital. Nos usages ne devraient porter que sur les intérêts de ce dernier sans impact sur le patrimoine de base qui devrait rester constant, en qualité comme en quantité.
Nous devons mieux anticiper et tout faire pour préserver ce capital. Actuellement, les technologies permettant de créer un réseau de chauffage et de rafraîchissement des quartiers urbains, en utilisant la température de l’eau du lac se développent. Mais quelles seront les conséquences de rétroaction d’un tel système sur la température des eaux du lac ? Avec la Cipel – Commission internationale pour la Protection des Eaux du Léman -, nous mettons en place un observatoire qui va établir les indicateurs et aider à prendre les décisions qui limiteront l’impact sur notre ressource en eau.
Par ailleurs, on considère que 50 tonnes de plastique rejoignent les eaux du lac Léman chaque année. 10 % de ce volume partira dans le Rhône, sous forme de microplastiques, qui ira se déposer dans les sédiments de Camargue, dans le golfe du Lion… On estime que 30 % de ces 50 tonnes de plastique sont issus des poussières de pneumatiques. Il y a donc à développer des alternatives.
Quelles sont les conséquences du réchauffement climatique sur votre territoire ?
Nous observons des modifications des populations animales ou végétales. Outre le cas des espèces invasives, il reste difficile de déterminer si ces changements proviennent de pulsations climatiques normales ou sont à imputer à d’autres facteurs sous influence anthropique.
Enfin, la Cour des comptes de Genève s’est auto saisie de la question de la ressource en eau potable : elle appelle à une planification transfrontalière. Pour l’avenir, nous devons réfléchir à croiser et interconnecter nos réseaux, malgré la frontière. Cela soulève des questions techniques, juridiques, financières… Le Sénégal et la Mauritanie l’expérimente. La Suisse et la France devraient elles aussi pouvoir montrer l’exemple dans ce domaine.