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Toutes les actualitésLes rivières d’Europe entravées
Les rivières et fleuves fournissent des services essentiels à la société, mais leur exploitation par les Hommes n’a cessé de les fragmenter. En Europe, plus d’un million d’obstacles entravent le libre cours de l’eau et perturbent l’équilibre de ces écosystèmes.
Une fragmentation importante et sous-estimée
On appelle fragmentation des cours d’eau le phénomène d’altération de la continuité écologique due à des obstacles présents le long de l’écoulement. Et ce phénomène est particulièrement présent en Europe, continent qui, depuis des siècles, utilise les cours d’eau pour faire tourner des moulins ou des turbines, alimenter des forges ou des industries. Une étude inédite menée en Europe dans le cadre du programme Amber (Adaptative management of barriers in Europe) et publiée dans la revue Nature en décembre dernier donne le chiffre de plus d’1,2 million de barrières sur les rivières et fleuves de 36 pays européens (soit une densité moyenne de 0,74 ouvrage artificiel par kilomètre).
Les indicateurs principaux de la densité des barrages sont la pression agricole, la densité des croisements fleuve-route, l’étendue des eaux de surface et l’altitude. La plupart d’entre eux ont été construits pour contrôler et détourner le débit de l’eau ou pour élever son niveau, comme les déversoirs (30 %), les barrages (10 %), les écluses et canaux de dérivation. D’autres permettent de stabiliser le lit des rivières, comme les rampes et les seuils de lit (31,5 %), ou d’accueillir les passages routiers, comme les culs-de-sac (17,6 %) et les gués (0,3 %).
Quelque soit leur finalité, ces obstacles qui barrent les cours d’eau impactent la biodiversité, et en premier lieu la libre circulation des poissons. Entre 1970 et 2016, la population des poissons migrateurs aurait à elle seule connu un déclin de 76 % (voir notre précédent article). D’autres impacts peuvent être observés comme la baisse du niveau de l’eau, l’accroissement de l’érosion sur le littoral ou encore l’augmentation de la température de l’eau dans les réservoirs et cours d’eau. Un indice important renseignant à la fois le niveau de fragmentation et d’artificialisation, l’altération morphologique des cours d’eau et la transparence migratoire est le taux d’étagement. Il mesure l’écart entre la pente naturelle et la somme des chutes d’eau artificielles provoquées par la présence d’obstacles. Ainsi, plus le taux d’étagement est élevé, plus le milieu et les peuplements piscicoles sont dégradés. Le taux de référence empirique maximal d’étagement pour atteindre un bon état des masses d’eau a été fixé à 40 %.
Une difficile évaluation
Mais une première difficulté conséquente se pose avant de pouvoir mettre en application cet indicateur : l’évaluation du nombre d’obstacles et leur nature. Les chercheurs de l’étude menée en Europe estiment ainsi le chiffre largement sous-estimé (d’un tiers a minima), car il n’inclut pas de petits cours d’eau ou des ouvrages trop anciens et mal cartographiés. Surtout, les données sont très disparates d’un pays à l’autre en termes de quantité et de qualité.
Évaluer la fragmentation des cours d’eau est un exercice difficile en raison de la ramification des réseaux hydrographiques, du caractère saisonnier du régime hydrologique et de la variabilité des impacts des barrières dans le temps et l’espace. Excepté pour les grands barrages, l’information est encore très lacunaire sur pour les barrage de taille modeste ou les ouvrages anciens. Actuellement, les technologies de télédétection permettant de cartographier l’emplacement des barrages avec précision ne couvrent que les grandes infrastructures, qui représentent moins de 1 % des barrières existantes. Les ouvrages plus petits, bien que très impactants, ne sont souvent pas pris en compte alors que le concept de continuité des rivières est inscrit dans la Directive cadre sur l’eau de l’Union européenne et que des inventaires des obstacles physique sont exigés dans le cadre des plans de gestion des bassins hydrographiques (PGBH).
Des « solutions chirurgicales »
Afin de rétablir la connectivité des rivières, des solutions sont possibles, de plusieurs types. La première serait d’établir une meilleure cartographie et un suivi des barrières à l’échelle mondiale pour disposer de données complètes et agir de manière efficiente. La deuxième consisterait à effacer des ouvrages. En ciblant prioritairement les petites barrières, plus faciles et moins coûteuses à enlever. La bonne nouvelle de l’étude est que la plupart des obstacles identifiés atteignent moins de 2 mètres de haut et sont à l’abandon, ce qui facile leur suppression. Néanmoins, cela ne suffira pas si d’autres barrières sont maintenues, voire construites ailleurs sur le linéaire. Si la hauteur des obstacles tels que les grands barrages de plus de 10 mètres est un handicap pour les poissons, le nombre d’obstacles divers, comme leur localisation, sur leur parcours joue aussi un rôle important. Et toute stratégie de restauration écologique d’un cours d’eau doit intégrer d’autres paramètres que la fragmentation, comme les effets du dérèglement climatique ou les différentes espèces présentes.
Trois chercheurs de l’Université américaine de Duke (Institut Cary d’étude des écosystèmes) se sont penchés sur les causes et conséquences de la fragmentation dans un rapport publié en 2015. Selon eux, la responsabilité du gestionnaire fluvial sera de définir le meilleur niveau de fragmentation pour atteindre l’objectif de conservation du milieu et faire une analyse complète basée sur des données existantes et des modèles prédictifs pour évaluer ; le coût et les avantages de différents scénarios d’atténuation des obstacles. Une telle analyse « demandera de prendre en considération le coût et la faisabilité de l’effacement de chaque obstacle, ses bénéfices potentiels pour les espèces cibles, et tous ses effets secondaires, soit positifs soit négatifs, sur d’autres objectifs de conservation ou sur les valeurs sociétales » Cette stratégie consistera majoritairement en « des frappes chirurgicales », c’est-à-dire des opérations sur des obstacles ciblés qui affectent grandement les espèces.
L’Union Européenne a, pour sa part, fixé un objectif de plus de 25 000 kilomètres de rivières européennes en écoulement naturel d’ici 2030 pour sa stratégie en faveur de la biodiversité.